Je suis en panique, c’est vrai – à cause des pokémons qui ont pris d’assaut le bateau, à cause de mes lunettes qui sont tombées, à cause des nuages noirs trop près de nous, à cause de l’état du paquebot. Mon cœur bat à la chamade, et oh! Comme j’aurais aimé que ce soit d’amour qu’il tremble, que ce soit des papillons que je ressente dans l’estomac plutôt qu’une torsion qui me tournait l’estomac à l’envers. Mes yeux bruns cherchent avec terreur quelque chose sur lequel s’accrocher qui pourrait calmer mon état, mais la vérité c’est que la plupart des gens autour sont un peu en panique aussi. Normal – c’est le signe qu’ils sont moindrement sensés, ça. L’inverse m’inquièterait.

Sauf que voilà, moi j’aime bien paraitre comme un pilier de confiance, quelqu’un sur qui on peut compter. Mon air impassible habituel m’aide à atteindre cet état, mais sans mes lunettes de soleil, on peut voir mes yeux bruns qui s’affolent dans tous les sens, et j’imagine, comme les yeux sont les fenêtres de l’âme, qu’on peut y voir que je ne suis qu’un filou, une fraude doublée d’un peureux. Mon visage se crispe comme pour donner l’impression que je suis plus dur à cuir que je le suis vraiment, et c’est dans cet état que tu me trouves, Windy . Ta voix hésite légèrement, mais son son attire tout de suite mon attention; mes yeux se plantent sur toi comme dans l’espoir d’y trouver le sentiment de sécurité que je cherche lâchement. Mais non – à mes yeux à moi t’es qu’une gamine (excuses moi), et à cause de ça c’est sur moi que tu devrais pouvoir compter.

Sans m’en rendre compte, mon dos se dresse un peu plus droit, comme pour donner l’illusion que je suis un adulte de confiance. La belle blague.

« Oui » dis-je toute simplement, la voix quelque peu tranchante (c’est l’anxiété); ma main se tend vers toi avec fermeté, toutefois, et je viens récolter d’entre ta main enserrée les lunettes de soleil – les ayant piochées, je comprend bien vite la raison de ton regard contrit, et pour l’espace d’un instant mon petit cerveau de proie sans issue shift son attention, plutôt que sur ma peur, sur tes inquiétudes, parce que de m’intéresser à toi m’aiderait à ne pas penser à moi. D’abord mes yeux tombent sur les lunettes, fendues au niveau des branches, mais autrement en bon état. « T’inquiètes, euh… c’est quoi ton nom? » que je commençais maladroitement en tâchant de ne pas montrer ma déception en voyant l’état des lunettes. « C’est pas ta faute si elles sont cassées, j’vais pas t’gronder » une autre tentative pour te rassurer, sauf que j’ignorais que c’était toi qui avait pilé dessus et pas qu’elles S'étaient cassées après l’impact des poissons volants. En vrai, ça aurait pas changé mon attitude générale, mais j’aurais utilisé d’autres mots, plus clairs, pour expliquer le fond de ma pensée.

« En plus les verres sont intacts » et puis je fais mine de passer les lunettes sur mon nez comme pour illustrer ce que j’avais à dire, mais évidemment elles avaient du mal à tenir en place. « Surement qu’avec du tape, j’pourrai les arranger… » et naturellement mon regard coule vers le capitaine de bateau – si quelqu’un ici avait de quoi réparer mes lunettes, c’était lui, mais la vérité c’est qu’il avait pour ainsi dire les mains pleines! Je soupire, et puis je glisse les lunettes dans la poche avant de mon pantalon cargo. Faudra que je m’en passe, hein… mais mon attention reste sur toi, et, curieux, j’ajoute : « Tu vas pas pêcher? » question qui se voulait sans jugement, juste de la pure curiosité mêlée à une envie de taper la causette pour ne pas se préoccuper des soucis techniques que nous vivons en ce moment.