Journée passée à parcourir les paysages bucoliques de l’île à dos de moto, j’arrive à ma « destination » (destination entre parenthèse, parce que le chemin tout entier faisait partie de l’aventure de la journée.) les cheveux décoiffés par le casque de moto que j’ai porté quand bien même j’aurais eu l’air tellement plus badass sans, mais je passe rapidement ma main dans mes cheveux pour les remettre en place et leur redonner un peu de volume. J’ai pu avoir une vision bien différente des plaines et forêts que celle que nous offre le train qui fait le tour de l’île, ou même que celle qu’on peut avoir à pied ou à bicyclette, juste parce que ça va plus vite et que vous pouvez couvrir plus de chemin en une seule journée. C’est complètement affamé, donc, que je me retrouve à la microbrasserie du coin – mais avant d’entrer dans la bâtisse, je prends la peine de retirer le casque de Merlot, qui avait fait le chemin avec moi dans un petit caisson sur le côté de la moto. La vérité c’est qu’elle avait dormi la majorité du trajet, mais elle avait adoré les, genre, 15 premières minutes du truc, alors je compte ça comme une victoire.

Réveillée par l’arrêt de la moto et le retrait de son casque de protection, elle hop du caisson jusqu’au sol et s’étire mollement, m’arrachant un petit sourire attendrit. Et comme gêné de ce sourire, je pose un geste mille fois répété à ce point-ci, et j’attrape mes lunettes de soleil pour les mettre sur mon nez. J’entre dans le bâtiment pour indiquer mon arrivée ((emprunter la salle de bain vitef)) et aller dans la zone destinée à ceux qui sont là pour profiter d’une soirée préparée par l’établissement, une dégustation de bières de leur cru avec en plus une petite dégustation de mets locaux. C’est charmant, vous trouvez pas? C’est le genre d’endroit où on peut sûrement rencontrer un tas de connaisseurs en bières – c’est un peu « huppé » comme endroit, mais ils devront se contenter de mes pantalons de style militaire, mon débardeur noir et ma chemise de cuir que je retire maintenant que le vent ne fouette plus ma peau.

« Hey » dis-je en m’assaillant près du groupe, « Ça vous embêtes si j'en allume une? » mouvement rapide vers la cigarette que j’ai sorti d’une des poches de mon pantalon d’un autre mouvement expert. Juste à voir les regards entendus qui furent partagés, j’ai compris que ça dérangeait. Ça ne me dérangeait pas, en soit, mais leur petit air pincé et leurs non non, allez-y me donnèrent presque envie d’allumer le truc juste là, mais bon, j’ai été mieux élevé que ça et je me suis trouvé un endroit un peu plus éloigné, un peu plus discret, avec un seul autre mec assis près. Ce qui était bien, c’était qu’il fumait lui aussi alors je risquais pas de l’emmerder avec ma fumée secondaire. « Hey » lui dis-je simplement, avant de mettre ma cigarette entre mes lèvres et d’essayer de l’allumer. Heureusement, je sais manipuler un briquet d’une seule main, alors il ne fallut pas trop de temps avant que je puisse tirer ma première bouffée.

Et tout de suite- tout de suite, je me sens plus calme. Saleté d’addiction, hein.

Je me retourne vers toi, l’envie de te poser une question ou une autre, genre si t’es là pour la dégustation de bières toi aussi, mais quelque chose dans ton air m’intime de me taire. Peut-être que t’as eu une mauvaise journée, peut-être que t’aimes pas les gens, ou peut-être que c’est juste ma face qui te revient pas, en tout cas je garde mes questions pour moi et je laisse mon regard trainer autour de nous; vers les petits groupes qui se formaient (semblerait que la soirée avait surtout attirée des entreprises en quête d’activité de groupe), vers le staff qui venait installer les choses autour de nous, vers Merlot qui s'était trouvé un ami, et-

Ah, tiens. Merlot s’est fait un ami. Ça serait pas si étonnant que ça (elle se fait des amis partout) si ce n’était pas du fait que son ami en question était un petit pokémon qui portait une prothèse. Bon juste là, c’est pas ce qui attire mon œil plus qu’autre chose, même si l’enthousiasme de Merlot à me comparer à son nouvel ami et l’aimer directement, j’en rend note. Non, ce qui me fait froncer des sourcils et grogner, c’est : « Tche » oui, ça commence bien. Au moins, y'a que toi pour m’entendre. « au moins », parce que t’es la dernière personne qui aurait dû entendre la suite : « Non mais c’est pour ça qu’on peut pas laisser n’importe qui s’occuper d’un pokémon avec une prothèse. C’est bien beau de prendre des photos pour instagram, mais si t’es pour pas savoir comment installer la prothèse, aussi, tu fais que souffrir ton pokémon » Je claque de la langue, manifestement un peu énervé – juste parce que je pouvais comprendre ce que ça faisait, de porter une prothèse mal installée ou peu appropriée pour vous. « Tu sais il est auquel de ces bouffons, ce pokémon? » dis-je en me tournant directement vers toi, indiquant le Mentali en question pour te montrer de quoi je parlais.

Quelle erreur monumentale…

Je te regarde. Je te fixe, même, à travers les vitres teintées de mes lunettes. Et puis d’un coup de prothèse, je les retire et de l’autre, de ma main de chaire, je viens frotter mes yeux en soupirant. « C,joli, comme nom, Pumpkin » finis-je par dire bien lamentablement. Ça n’excuse en rien le fait que je t’ai traité de bouffon, mais vraiment, qu’est-ce que je peux dire d’autre dans la situation? Vaut mieux… ouais, vaut mieux passer à autre chose. C'est pas chouette de prétendre que ce n’est pas arrivé, mais j’ai l’impression que mes plus plates excuses ne ferait que prolonger le silence de mort entre nous deux. « Elle, c’est Merlot » dis-je en pointant ma Keunotor, « Faut l’dire si elle embête » mais je sais que Merlot n’embête pas, c'est une vrai fleur, elle. Faut bien qu’y’en aille un des deux qui ait du charme, je suppose.

Mais je t’ai observé, en train de remettre la prothèse de ton pokémon. Elle n’avait pas l’air à l’aise avec, et tout non plus, d’ailleurs, alors je tente de dire : « C’est récent? » et puis, comme pour m’excuser d’une telle question, qui pouvait être douloureuse, j’y passe par ma propre douleur; « Perso, ça me fait environ un an » nouveau silence de ma part, comme si je cherchais quoi dire sans vraiment trop donner d’information. Puis ma prothèse, à vrai dire, n’a rien à voir avec la sienne si on considère juste l’utilisation que je peux faire de la mienne. C’est pas con, je peux saisir des objets avec, genre mes lunettes de soleil que je remets sur mon visage avec maladresse (parce qu’elle n'est quand même pas très précise, malheureusement).

T’as l’air au bout de ta vie, vraiment. J’ai envie de finir ma cigarette bien vite et de me barrer, mais pour aller où? Je me vois mal me greffer aux groupes déjà existants. Vaut mieux faire la paix… ou carrément partir. Mais j'avais très envie d’assister à cette dégustation-repas, alors je reste sur place, un nouveau soupir emboucané sortant d’entre mes lèvres. « Alyosha » dis-je simplement – espérant que tu me donnerais un nom par lequel t’appeler.

Qu’est-ce qu’on dit à quelqu’un qui a tant perdu en si peu de temps? Je ne le sais pas parce qu’on avait pas su quoi me dire, au fond. J’essaie de faire preuve de compassion - moi qui en avait tellement manqué quand j’avais vu la prothèse mal installée. Tu mérite mieux que des explications sur quoi faire et quand, au fond, on a dû te le répéter cent et mille fois. Plutôt, je te dis du fond du cœur; « Je sais que c’est terriblement injuste, et que Pumpkin ne devrait pas avoir à gérer ça, mais- » je soupire – j’aime pas trop me mettre les pieds dans la bouche, tu vois? « Tant qu’il garde le moral, il s’y fera vite » est-ce que lui-même avait su le garde, le moral, quand il avait perdu son bras? Il ne préférait pas s’étendre sur le sujet, disons, comme c’était très personnel. « Puis il t’a toi, c’est pas rien… »

Et moi – pourtant à l’air si sérieux, je tente une petite bouffonnerie; « Enfin, dès que t’auras appris à la mettre correctement » et puis écrasant ma clope, me voilà qui se lève et m’approche du petit pokémon. « Hey, p’tit gars » dis-je doucement en m’accroupissant près de Merlot et Pumpkin. « R’garde, moi aussi j’en ai un, comme toi » et je lui présente mon bras métallique pour qu’il puisse le renifler. « Tu m’laissses….? » question qui flotte alors que je tends, cette fois, ma main valide vers le pokémon. C’tait pas facile de mettre une prothèse quand t’as qu’une main et demi pour t’aider, mais je vois où est le problème; « Ça prendra deux secondes » et puis je retire une des sangles pour la passer derrière la patte du pokémon plutôt qu’en dessous, et le tour est joué. « Tu devrais être plus confortable, comme ça » que je lui dis d’abord, n’osant pas croiser ton regard.

Quand bien même, je te dis; « Elle va se décrocher moins souvent, comme ça » je le sais parce que j’ai eu des trucs semblables sur le corps, et je peux reconnaitre quand l’une des sangles pend d’une drôle de manière. Cette connaissance, je l’ai acquise à la dure, comme on dit. Et Merlot, elle? Elle profite du fait que je suis accroupis pour me grimper dessus et venir me faire des papouilles, que je lui retourne doucement – douceur qui fait sûrement contraste avec mon langage corporel, mais qu’importe.

« je ne peux pas parler pour ton Pumpkin » que je commence en tâchant d’être un peu plus délicat, « mais pour moi, le plus difficile après mon accident, ça a été de garder le moral. On m’a dit qu’avec le moral, de bons encouragements et une vision de sa vie après, on guérit, enfin, on se remet bien plus vite. » Pourquoi est-ce que je te parle de tout ça? C’est un encouragement, en quelque sorte. Tant qu’on peut encore voir sa vie avancer et se donner des objectifs, la remise sur pied va vraiment vite. Et puis je t’avoue du bout des lèvres; « C’est ce qui a été le plus dur, personnellement. Mon corps s'est remis plus vite que mon esprit. » faut dire que contrairement à ton Pumpkin, je n’avais plus personne. Difficile de croire en un futur quand il fait le refaire de toute pièce. J’ai depuis longtemps abandonné ma famille, et je n’ai ai pas faite une nouvelle, pour ainsi dire, et toutes les amitiés que j’ai pu faire par la suite étaient avec des criminels qui, évidemment, voulaient ma peau après que je les ai vendus.

Mes yeux se couvrent d’orage et de pluie, mais heureusement je porte toujours mes lunettes de fumée et tu n'en vois rien. Ton Mentali saute sur tes genoux et je souris; je me penche pour attraper ma Keunotor, parce que je sais qu’elle sera jalouse si je la laisse à terre, et elle, elle n'a certes pas l’agilité et la grâce nécessaire pour sauter sur mes genoux! « Viens là » que je lui dit; ma blague, malheureusement, ne trouve pas de bon public, et si la partie rationnelle en moi me dit que je n’ai qu’à te laisser tranquille, l’autre… reconnait en toi quelque chose qui me manquait. C’est que pendant des années j’ai vécu aux côtés de criminels endurcis par la vie, qui étaient comme toi avant qu’on apprenne à les connaitre un peu. Et si je suis pour me faire un ami ici, ce soir, je préfèrerais largement que ce soit toi.

Nous commençons à gouter au vin et Merlot s'est callée doucement sur mes genoux, me prodiguant une certaine chaleur qui commence à m’endormir doucement; je n’ai pas fait ma sieste de l’après-midi, il faut dire, comme j’étais à dos de bécane. Yeux fermés, j’hume le vin qui nous est servi, un petit rouge bien coquet qui ne me fait pas de mal. Moi, avec un peu de vin dans le corps, je me dégourdis et ma langue se délie un peu. « Et vous faites quoi dans la vie, tous les deux? » te demandais-je finalement, me demandant en dehors de ton nom à qui j’avais à faire. « Tu as l’air jeune, je me doute bien que tu n’as pas la chance d’être un grand retraité comme moi » dis-je avec un petit rire bien gras; je ne me moque pas de toi, faut dire, mais même à mon âge je suis un peu jeune pour la retraite, alors…

« Ah » dis-je un peu platement, le regard un peu fuyant quand tu mentionnes que tu es avec la police. C'est que vu mon passé, à la fois comme filou et maintenant comme personne sous protection d’identité, on peut dire que j’ai en masse affaire à la police et que je préfère ne pas éveiller les soupçons de quelqu’un qui œuvre dans le domaine, ne serait-ce que parce que je ne souhaite pas avoir à répondre à des questions ou pire, devoir quitter l’île Safari parce que ma présence ici et été mise en danger. Je doute fortement que tu travailles avec la racaille de la team rocket, mais qui sait, après tout. « Tout juste muté, hein? » ma tête se penche légèrement sur le côté alors que je te considère; « Ça doit faire franchement différent de là où tu viens, qu’importe où c’est. Je suis pas ici depuis longtemps non plus, mais ici, tout fonctionne comme au ralenti. J’ai pas l’impression qu’y’a tant de crime que ça, mais je peux me tromper » haussement d’épaule légèrement désinvolte; le crime ne me regarde plus, maintenant. « Pourquoi l’île Safari? Euh – si c’est pas trop intrusif » me corrigeais-je rapidement, sirotant mon alcool avant d’avaler un canapé servit pour qu’on ne s’alcoolise pas trop vite. Quelque chose pour retarder l’inévitable, moi je me suis pris une chambre à une auberge pas très loin.

« Trente-cinq ans! Pshh! » fis-je, ma main s’animant avec énergie comme pour balayer l’idée. « On est jeune à trente-cinq ans! Arrive à mon âge vénérable de cinquante-neuf ans, et on en reparlera » je suis bon rieur, et je ne dis aucunement cela pour te mettre à mal – juste pour rire un peu de moi, parce que je sais bien qu’au fond on s’imagine tous être vieux avant de devenir encore plus vieux. « Mais j’en perd pas pour autant mon cœur d’enfant, ça garde jeune, ça » et puis je me penche vers toi, peut-être un peu trop familier, peut-être un peu trop volubile; « Et toi, Arès, t’as gardé ton cœur d’enfant? » je ris, mais ce n'est pas drôle – à voir ta tête… « Peut-être pas » que je soupire en me remettant correctement à ma chaise, soufflant un brin, sans me rendre compte que mon animation m’attirait certains regards en coin des invités un peu plus dignes que moi. Qu’importe; il y a longtemps que le regard des autres ne me fait plus rien, à moi.

« Ouais, c’est sûr que le crime organisé n’a pas l’air de s’être rendu sur l’île encore. Ou alors, ils m’évitent » que je plaisante, et pourtant – pourtant y’a un peu de nervosité dans ma voix, c’est plus fort que moi. « J’y suis jamais allé, à Hoenn » que j’admets, manière désinvolte de continuer la conversation, une phrase à la fois. Et puis je ris; « Toi et moi, alors » au fait que tu disais simplement vouloir voir de nouveaux horizons. C’est un peu mon cas – enfin, c’est aussi surtout que je dois fuir mon passé à tout coup, mais l’idée est là. Je capte même pas que tu mens, à dire vrai – d’abord parce que t’as aucune raison de le faire, et ensuite parce que tu me dois aucunement la vérité, surtout pas à moi qui cacherai pour toujours la réelle raison de ma venue ici. Et puis si ça se trouve, on ne se reverra jamais… Mais l’île est petite, vraiment. J’arrête pas de croiser un certain infirmier pokémon, après tout, alors pourquoi pas toi aussi?

En tout cas, t’as l’air moins chiant que bien des gens, même si tu sais pas sourire. Mais moi non plus, alors on s’accorde bien sur le sujet.

Et puis je tique un peu. Moi j’essayais de- enfin je sais pas trop ce que j’essayais de faire. De créer une connexion, mais manifestement, t’en a rien à faire, et au fond, c’est ton droit. « Être un enfant et avoir un cœur d’enfant, ce sont deux choses différentes » que je ronchonne, et pourtant, au-delà de la sécurité de mes lunettes de fumées, je t’observes avec inquiétude. T’es sérieux, trop sérieux… comme un mec qui a vu trop de choses. Enfin; moi aussi j’en ai vu des choses, et des fucked up à part de ça, mais c’est pas tout le monde qui réagit de la même manière au trauma. Ah- si tu pouvais voir mes yeux, probablement que tu croirais que je te prend en pitié, mais c’est un peu plus complexe que ça. J’espère juste que peu importe là où tu t’en vas, tu trouveras ton compte.

Peu importe ce que tu fuis en venant ici.

« Bon voyage » dis-je simplement, Merlot sur mes genoux m’empêchant de te suivre directement. Et puis ça serait bizarre… si? Moi, de toute, je me suis pris une chambre à l’auberge d’en face, alors je vais juste profiter de mon vin de mon côté et laisser les fameux bourges s’amuser. Après tout, je n’ai pas besoin, dans mon âge vénérable (ahah) d’autres personnes pour apprécier la soirée. « Rentrez prudemment, agent Stathis » dis-je simplement en levant vers toi ma coupe de vin, avant d’enfourner une crudité. J’adore le brocoli avec une petite sauce ranch, moi. Je suis simple homme… mais quand même, mon sourcil se lève alors que je te vois partir comme ça. Et je détourne le regard avant que quiconque se doute de quoi que ce soit.

C’est que j’ai jamais vu un policier avec un aussi beau profil de dos, hein.