« Ok, je m’en occupes » dis-je simplement, te laissant tourner ton attention vers le piaf alors que moi je me dirige plutôt vers ton bureau; il ne me faut pas bien de temps pour trouver ta trousse médicale, qui n’était d’ailleurs même pas fermée. Est-ce un simple oubli de ta part, ou est-ce que tu as tellement l’habitude des blessures et petites écorchures que tu as pris l’habitude de ne pas le refermer? Je ne sais pas, mais moi, ça me rend la tâche bien plus facile. Je t’écoute d’une oreille distraite, suivant la mélodie de ta chanson sans en comprendre vraiment les paroles.

Je prend une lingette désinfectante, l’ouvrant d’une simple déchirure, et j’entreprend du bien que je peux de nettoyer le tout. Ce qui sonne facile, mais ce ne l’est pas; après tout je dois utiliser ma prothèse pour ce faire, et si elle est capable de mouvement et préhension, il reste qu’elle est moins précise que le bras qu’on m’a arraché; parfois tu ne tiens pas le truc assez fort et il te glisse des doigts, parfois tu frottes trop fort, bref, c’est pas une science exacte même si je commence à avoir l’habitude. Juste d’avoir une prothèse qui peut faire ce genre de chose, c’est quand même merveilleux.

Je m’attendais à ce que la lingette pique au contact contre ma peau; je suis vieux, moi, je me souviens encore des jours d’enfance où on utilisant un désinfectant qui brûlait au contact de la peau à vif. Mais non; ces jours-là sont révolus et le contact est simplement frais. C’est assez génial, le progrès, quand on y pense.

Tu dis quelques mots au Pijako et il semble se calmer légèrement; ça aide que tu te sois fait petit, ça lui donne plus l’impression d’être en contrôle de la situation. Il comprend moins les mots que le sens de ta voix; se calmer… plus facile à dire qu’à faire, ça c’est sûr, mais dès qu’il voit les friandises, sa gourmandise fait qu’il penche la tête d’un air curieux, interrogateur; incertain de vouloir laisser ta main s’approcher de lui, certain qu’il veut la friandise, bref dans les cas il en a oublié le portail, sa vie perdue à jamais, le fait qu’il n’arrivait pas à se reconnaitre et s’orienter. Non; sa cervelle de moineau n’est remplie que de nourriture….

Et il finit par céder, faisant quelques petits sauts pour briser la distance raisonnable entre lui et ta main, pour venir se saisir de la friandise d’un coup de bec précis.

« J’apprécierais » que je te répond simplement, ayant clairement du mal à m’organiser tout seul. Faut dire que la prothèse n’aide pas, hein, mais aussi c’est dur de voir derrière mon bras. Je crois pas que je nécessite des bandages, mais quand même, peut-être des diachylons ici et là. Je soupire de dépit; j’aime pas me sentir limité par mon bras manquant, et à vrai dire ça n’arrive que très rarement ces jours-ci, mais il reste un souvenir douloureux que je préfère ne pas aborder. Enfin tout ça pour dire que je ne suis pas énervé envers ta demande, même si elle me donne l’impression d’être un gamin pris en faute. Puis je comprend que c’est pas mon application qui t’as fait demander, mais plutôt l’envie de se rendre utile.

« Je crois que j’ai tout désinfecté, mais faudrait mettre du Polysporin* à quelques endroits » je te tends le tube en question, tout droit sorti de ton inventaire, pour que tu puisses le faire; ce sera de toute manière bien plus rapide, surtout qu’il faut mettre quelque chose par-dessus la crème, comme un diachylon. Mais ça c’est toi qui connait ton stock…

« Dis-moi » que je dis, penaud, alors que je tiens mon bras dans les airs pour que tu y aies accès plus facilement, « Je l’ai capturé pour mieux l’amener se faire soigner, mais… la vérité c’est que je me vois pas l’emporter chez moi. Il est sorti d’un portail, alors je me vois pas non plus le relâcher en nature… tu connaitrais pas quelqu’un qui voudrait de lui? Idéalement si la personne parle le galarois, ça serait bien, je crois. »

Ouais; on dirait pas, mais j’ai pensé à tout ça juste sur le chemin en revenant ici… En tout cas, le Pijako semble plus détendu maintenant qu’il est tout seul et, curieux, il viens frapper quelques objets de son bec, exploration un peu curieuse à remarquer. « Il t’as pas fait trop mal? » que je dis alors – il t’as pincé après tout, ça ne doit pas faire de bien!

« Merci » dis-je tout simplement alors que tu t’attèles à la tâche de penser mes blessures, aussi minimes soient-elles. C’est apprécié en tout cas, même si je ne suis pas le plus volubile quand vient l’temps d’exprimer ma reconnaissance. « C’est tant mieux. Un mystérieux tube de plus, on dit pas non » que j’ajoute, mon sourire s’étirant pour découvrir mes dents d’en avant.

Je pousse un gros soupir, te disant : « Écoute, j’veux pas juste t’domper cette responsabilité-là sur les bras, mais c’est vrai que j’apprécierais. Peut-être que tes parents auront une meilleure idée de qui pourrait l’adopter à long terme » que j’ajoute, penchant la tête sur le côté. Tu termines le bandage et je peux à nouveau bouger mon bras librement, et j’hoche simplement de la tête quand tu parles de la petite blessure que le Pijako t’a créée. À vrai dire y’a autre chose que tu as dit qui m’a fait tilter un peu…

« Tu trouves que tu as perdu ton Galarois? » dis-je, mon ton plus curieux que jugeant. « Je dois t’avouer que c’est quelque chose que je crains aussi. Déjà que j’ai deux langues natales, celle de ma région de naissance, bien sûr, mais aussi celle de ma ville qui était… quelque peu éloignée et qui a pris des traits linguistiques d’une autre région. Enfin, je parle trois langues, mais c’est vrai que je ne pratique pas beaucoup dernièrement » l’idée de perdre mon frimapiquois natal me terrifie, mais avec qui est-ce que j’allais le parler, de toute manière?

Enfin, ce sont, sûrement, des préoccupations qui ne sont pas pertinentes, là, tout de suite, maintenant. « Content d’apprendre que tes parents vont passer te voir, c’est… chouette d’avoir de la famille » petit hésitation parce qu’au fond, n’est-ce pas hypocrite de ma part de dire ça quand moi-même je n’ai pas de contact avec la mienne? Mais nos circonstances sont très différentes, après tout. « Est-ce que je dois remplir de la paperasse pour te laisser les soins du Pijako? » que je demande; après tout, les soins étaient gratuits, mais il fallait quand même laisser des traces des soins offerts à quels pokémons et comme nous sommes venus directement dans ton bureau, le Pijako n’a pas pu être enregistré, pas comme mon pokémon et certainement pas comme le tien.

« Oh » dit-il en se frottant la nuque; « pardon, j’aurais pas dû assumer » c’est vrai; ce n’est pas parce qu’un de tes parents vient de Galar que tu sais nécessairement en parler la langue, quoique pour lui, ça aurait été impensable. À la maison, chez lui, ça parlait leur patois et il se serait pris des punitions s’il avait eu la drôle d’idée de parler la langue officielle de leur région au lieu de celle de leur ville. Ça faisait partie de son héritage et il en était très fier, même s’il ne pouvait que trop rarement le parler ici. Pour lui c’était triste de penser que tu ne pouvais pas converser dans sa langue d’origine avec ton père, mais qu’importe, votre famille fonctionne clairement d’une manière différente de la sienne, et loin de lui l’idée de dire (ou même de croire) que leur manière à eux était meilleure, vu comme lui n’était plus en contact avec sa famille et que toi, si. Comme quoi le focus n’avait pour vous pas été les mêmes choses!

« Comment pourras-tu lui apprendre si tu ne sais pas toi-même le parler? » qu’il dit, trop vite; il n’a pas eu le temps de penser à son ton ou à ses paroles, et là il avait peur de sonner un peu plus rustre qu’à l’habitude. Et de toute manière, ce n’était pas là le plus important pour lui, qui fronce des sourcils en répétant : « Tu ne sais pas d’où vient ton père? » et puis, honteux, il réalise que tu ne sais pas plus d’où il vient, lui; au fond tout le monde à ses secrets et peut-être que ton père a de bonnes raisons, quoiqu’Alyosha se demande s’il a été un père absent ou non. « Enfin, je n’aime pas non plus parler d’où je viens, alors je ne peux pas juger » dit-il en riant un peu pour adoucir l’atmosphère. Ton père devait avoir environ le même âge que lui, non?

« Un autre nom? » fait-il, surpris, fronçant des sourcils derrière ses lunettes fumées. « Pour… le pokémon? Pour moi? » le voilà, il est vrai, bien confus. Pourquoi devrait-il donner un autre nom que le sien? Il ne fait pas tout de suite le lien avec le fait que d’abandonner un pokémon n’est pas toujours très bien vu (ou c’est, en tout cas, la seule raison qui lui vient à l’esprit). Évidemment le seul autre nom qui lui vient à l’esprit vite fait, c’est son ancien pseudonyme et ça, il n’était pas question de l’utiliser! Il attendait sagement d’avoir ta réponse avant d’obtempérer, histoire de ne pas avoir à te faire recommencer tout ton travail pour faire des notes dans le nouveau dossier du pokémon. Alyosha ne voulait pas s’attirer des ennuis, c’est vrai, alors si tu estimes qu’il fallait mettre un autre nom, alors soit, il allait le faire.

« oh, ça je comprends » remarque Alyosha, légèrement surpris; « C’est aussi une des choses qui m’a motivé à couper les ponts avec ma famille. Ton père et moi on doit avoir un âge qui se ressemble, en plus. Heureusement la culture de nos jours change vite » remarque-t-il; enfin il n’étais pas gay, peut-être bisexuel? Il avait eu plus de relations avec des femmes que de hommes à vrai dire, autant sur le court que le long terme. Mais en ce moment il était épris d’un homme, alors ça le rendait moins mal de le présenter comme ça. Disons qu’il a internalisé pendant longtemps qu’il devait choisir un camp (c’est faux).

« Oui je vois, du coup c’est pas nécessairement ça que vous parlez à la maison, mais tu en connais assez pour le lui montrer. Je suppose que si ça l’intéresse, ça pourrait être cool, oui » mais après, ce n’était pas sa famille et il ne pouvait pas savoir comment ça allait être pris. Il ne pouvait qu’espérer que ton père, celui de Galar en tout cas, apprécie le geste. « Ah oui ça les insultes, les gens retiennent vite, surtout les enfants » dit-il en riant également; allez savoir, ça détendait l’atmosphère même pour le Pijako, qui semblait rassuré de voir les humains avoir une conversation sans que toute l’attention soit sur lui.

« Ah, oui! Non c’est moi qui a pas toute ma tête » fait Alyosha en hochant négativement de la tête; ça avait bien plus de sens comme ça, au fond. Il remplis son nom et prénom, donc, avec une petite hésitation marquée; c’est qu’il est plutôt récent qu’il signe son vrai nom sur les papiers, et son alias était presque devenu un automatisme. C’est dans un moment comme celui-là qu’il se souvient tout ce qui est arrivé dans les dernières années de sa vie. Au final tout entrait dans l’ordre; les papiers signés, le pokémon soigné et ayant mangé, avec en prime un dresseur qui allait s’occuper de lui au moins temporairement… oui, Alyosha avait bien fait de l’emmener ici.

« Merci » souffle-t-il avec reconnaissance, « J’ai bien fait de te l’emmener. Je vais te laisser retourner au travail, j’ai déjà pris assez de ton temps » remarque-t-il, un peu mal à l’aise d’être venu directement te déranger au travail. Ça n’était sûrement pas la première fois que ça t’arrivais, après, n’est-ce pas?