La question n’était pas de savoir ce qu’al faisait toute seule (enfin si, un peu, peut-être, mais ce n’est pas une rare occurrence en soit, malheureusement), mais ce qu’al faisait ici. Après tout le village Pikachu était-il un endroit de villégiature comme les autres sur l’île, avec ses parcs, ses petites boutiques coquettes, et son atmosphère généralement détendue. Pour une fois, Odyssée n’était pas en train de se rouler dans la boue, de grimper aux arbres ou de sortir des limites de la ville sans surveillance aucune. Non; al avait dû faire un mauvais tournant quelque part (très facile quand tu n’as aucune idée d’où tu es, au fond) et s’était rendu jusqu’à un quartier résidentiel tout ce qui a de plus banal.

Le dernier endroit où on le chercherait, donc.

C’est alors qu’al pousse un soupir las qu’al l’entend comme un écho. C’est un autre soupire -le tiens- qu’Odyssée a entendu, suivis de quelques paroles. Et c’est là qu’al est imbu·e d’une mission : celle de vaincre ta lassitude et, du même coup, vaincre la sienne.

Oh, al aurait très bien pu faire le tour de la maison et cogner à la porte. Mais quand Odyssée a une idée en tête, al est plus comme un grand train instoppable qu’autre chose. Et puis c’est vrai : pourquoi mettre un treillis de fleurs qui monte jusqu’à la fenêtre si ce n’est pas parce que vous voulez qu’al y grimpe? Alors sans hésitation, l’énergumène retrousse ses manches et entreprend de glisser ses petits doigts dans les fentes du treillis, de trouver assise pour ses pieds.

Mais al se rend bien vite compte du fait que si al continue, al tuera la vigne qui y grimpe, et donc, le train s’arrête pour réfléchir. Un vrai aventurier ne ruine pas les choses des autres, c’est sa maman qui le lui a dit. Oh - al ne se rend pas jusqu’à la porte, mais inspecte plutôt la surface de la maison. La brique est trop petite, même pour ses doigts, mais son regard tombe sur la gouttière attachée au toit, et de la partie de métal qui descend jusqu’au sol. Odyssée n’a aucune idée de ce à quoi ça sert, tout ça, mais al trouve que c’est une bonne assise pour grimper – encore heureux, l’enfant ne pèse pas grand-chose.

Comment a-t-al réussi à grimper sans faire de bruit? Nul ne le sait, et certainement pas moi.

Petit problème par contre (comme si toute cette histoire n’était pas un problème en soit) : la gouttière n’était pas du tout à côté de ta fenêtre. Al s’est donc rendue jusqu’au toit. Un autre aurait peut-être eu le vertige, mais Odyssée n’a aucun sens du danger et de la préservation, aussi s’y promène-t-al sans même avoir peur de glisser et faire une chute vertigineuse. La voilà qui se penche pour repérer ta fenêtre, puis se tourner pour glisser son corps par-dessus le vide…

Et puis après, quoi?

Odyssée est grande. Assez pour dépasser tous les autres enfants de son âge qu’al a rencontrés. Mais est-ce sufissant pour se glisser dans la fenêtre ouverte?

Il n’y a qu’une manière de le savoir… en tout cas c’est ce que se dit l’enfant en se faisant basculer pour glisser, al l’espérait, dans la fenêtre ouverte, et pas dans les buissons en bas (qui, quand même, serviront à couvrir sa chute s’il y a quoi que ce soit). Hop; un élan, deux élans, trois élans, et le tour est joué.

« Aïe » souffle-t-al alors que la moitié de son corps entre bien dans ta chambre, mais que le haut de son dos se plante bien fort dans l’embrasure de la fenêtre, ce qui lui érafle la peau jusqu’à sa nuque, irritant sa peau et lui faisant grâce d’une gros hématome bien rouge et bien visible. Comment est-ce qu’al allait pouvoir expliquer ça à ses mamans? Enfin ça, c’est un problème pour plus tard. Al se redresse bien vite, ajuste sa vue (enfin la vue s’ajuste toute seule, Odyssée n’y est pour rien) à la pénombre de ta chambre.

« Hey »  te dit-al en rencontrant ton regard. « Je peux pas emmener la plage à toi, mais si tu veux on peut jouer »

Oui, comme si son apparition dans ta maison avait quelque chose de normale. Comme si les bruits de pas sur le toit n’avait pas pu t’effrayer, pas plus que les coups donnée contre le mur alors qu’al grimpait. Quand même, al grimace en se frottant le dos, et a le culot de dire : « Ta fenêtre est très dure » enfin, était-ce une plainte ou un simple constat? Dure à dire…

« Moi, c’est Odyssée! » dit-al fièrement, ne relevant pas du tout la surprise et la peur dans ta question. Surpris par ta seconde question, al dit : « Oui, c’était mieux comme ça parce que je ne voulais pas faire mal à la vigne qui grimpe sur ton treillis » y’avait pas à dire, chaque mot qu’al ajoutait à ses explications rendait ça de plus en plus étrange et improbable. Tu avais raison; al trouve sa présence ici totalement banale, au fond. Ce qui était fait était fait, mais pendant que toi tu paniques, la voilà qui se penche souplement pour détacher ses chaussures et les retirer poliment – c’est toujours plus poli, après tout, de retirer ses chaussures à l’intérieur, surtout chez une parfaite inconnue.

« Oh, merci, c’est gentil » dit-al en prenant deux-trois pas vers toi dans ta chambre, son regard curieux s’arrêtant sur les décorations de la pièce; tout naturellement, al vient poser son fessier sur ton lit et retire son haut à moitié; c’est-à-dire qu’al en a relevé le dos et retiré sa tête du col, mais l’avant est resté bien en place. À dix ans, ses mamans avaient commencé à lui expliquer le concept de la pudeur, et si al ne le comprenait pas totalement, al essayait en tout cas d’être sage et d’exécuter les bons conseils de ses parents.

« C’est comme j’ai dit » dit-al, ne semblant pas comprendre ta question puisqu’al avait l’impression d’y avoir répondu. « Je suis là pour jouer » et puis, quand même, comme tu as l’air de t’en faire pour des détails, al ajoute : « Je t’ai entendue parler quand je suis passé sous ta fenêtre, et je ne voulais pas que tu sois triste » tout naturellement; on dira ce qu’on voudra, Odyssée ne comprend pas toujours ce qui se passe autour d’al, mais al a un bon fond et fait toujours ce qu’al peut pour rendre les autres heureux. Bon, ça ne faisait pas de mal qu’al veuille jouer aussi, hein…

Puis, posant son regard bleu-gris dans le tien, al demande : « Est-ce que ça répond à ta question? » et la manière qu’elle avait de le dire, en te fixant comme ça, ça donnait presque l’impression que c’était toi qui était étrange de demander, ou alors que tu n’étais pas vite vite quoi. C’est plus fort qu’al, pas son intention non plus, mais bon, al n’était pas toujours très douée pour prendre les réactions des autres en considération.

« Ce n’est pas grave » dit Odyssée quand tu lui indiques que le désinfectant va la piquer un peu; « Maman dit que je suis brave, alors rien ne me fait mal! », mais la vérité c’est que c’est de la bavarde, dès que le désinfectant le touche, al se crispe un peu et ses yeux se ferment légèrement. Mais elle ne dit rien, pas un mouvement ou mot de protestation, à croire que c’est pour al très important de ne pas se plaindre quand al a mal. Ou alors, comme tu penses, ça arrive si souvent qu’al n’y pense plus de la même manière. Mais en plus du désinfectant, tu lui mets un beau pansement de couleur, et ça vient la mettre de bonne humeur instantanément : « oh, wow, tu as des pansements avec des étoiles » dit-al, comme si al n’en avait jamais vu de toute sa vie. « Chez moi, j’en ai avec des robots » dit-al; « la prochaine fois, je viendrai t’en apporter, comme ça tu en auras toi aussi » et oui, tu viens d’apprendre qu’al compte récidiver! « Mes mamans disent que c’est bien de partager, mais qu’il faut faire attention pour ne pas se blesser. Comme je ne suis pas le meilleur pour ne pas me blesser, et bien, je fais très attention à partager avec tout le monde » logique à toute épreuve, non?

Et puis, subitement, al vient poser ses mains de chaque côté de ton visage, pressant légèrement tes joues au passage : « Je suis désolé·e » dit-al, et il semble qu’al n’aurait pas pu être plus sincère, « Je ne voulais pas t’inquiéter. J’inquiète beaucoup mes mamans aussi » peut-être qu’un autre enfant aurait eu l’air triste en disant cela, mais Odyssée se contentait de dire cela comme une affirmation plus qu’autre chose. Au moins, al semblait comprendre, à quelque part, que ça avait un effet sur les gens. « Mais tu dois savoir que je m’en sors toujours! Comme Sasha » dit-al, des étoiles dans les yeux. Oui : al écoutait évidemment la série de sensation qui suit les aventures d’un garçon nommé Sasha dans son parcours pour devenir le meilleur dresseur!

« On peut essayer de jouer sans faire trop de bruits » dit Odyssée, l’air quand même pas très convaincue parce que bon, voilà, « être bruyant » c’est quand même quelque chose qu’on lui  reproche bien trop souvent, mais al veut faire un effort pour toi. Après, si elle le propose, c’est parce qu’al ne sait pas que tes parents ne sont pas à la maison, déjà! « Et je peux sortir par là où je suis entré·e » ajoute-t-elle, visiblement confiante en des capacités qu’al n’avait pas nécessairement. Al hoche toutefois négativement de la tête : « Non, mes parents savent que je suis en balade et que je vais revenir » enfin, ce n’était pas vraiment, pas totalement un mensonge. Depuis le temps qu’al était parti·e, bien entendu que ses mamans savent qu’al est en balade. Et à vrai dire elles savaient aussi qu’al trouvait toujours un moyen de revenir à la maison. On ne dirait pas en le regardant, mais Odyssée est plutôt débrouillard!

« Enchanté·e Suzanne » dit-al très poliment, « je m’appelle Odyssée, comme le marin » et oui, au fond, si Odyssée n’était pas capitaine de bateau (pour le moment), en tout cas les aventures lui tombaient dessus sans qu’al n’y fasse attention et en ce sens, al tenait bien de son nom. « Tu as des crayons de couleur? Je connais un jeu marrant qui est calme » dit Odyssée, se relevant de sa position assisse pour regarder avec un œil intéressé ce qui trainait dans ta chambre. « On commence chacune un dessin sur une feuille, et puis après euh, disons, cinq minutes, on échange nos feuilles set on essaie de compléter le dessin de l’autre, et ainsi de suite » il était rare, très rare qu’Odyssée soit capable de rester assis très longtemps, parce que son esprit ne fait que vouloir sauter d’un truc à l’autre, mais cette activité fonctionne bien avec al puisque le dessin change justement toutes les cinq minutes et que ça la force à changer d’idée à chaque fois. Bon, al ne le fera pas pendant une heure, ça, c’est certain, mais ça devrait pouvoir vous occuper un peu… sans tout casser, quoi.

En tout cas… al ne semble pas intéressé·e, pour le moment, à savoir pourquoi tu es punie. Ou, en tout cas, al semble attendre que tu en parles de toi-même. Mais bon, Odyssée a l’habitude d’être puni·e, alors pour al, ça ne veut pas dire grand-chose!